« Certains ne récupèrent pas du tout » : les ravages du protoxyde d’azote vus par un neurologue

Plusieurs faits divers médiatisés, liés à la prise de cette forme de drogue, ont remis dans la lumière un phénomène né en 2017 mais qui a pris une nouvelle ampleur en 2025. Par Vincent Gibert

EN BREF
 La consommation de protoxyde d’azote connaît une accélération ces derniers mois, particulièrement chez les 18-25 ans.
 Le médecin Jean-Paul Niguet analyse les effets de ce « gaz hilarant » sur le corps humain, évoquant des problèmes neurologiques importants.
 Il confirme le développement d’une addiction qui peut entraîner des séquelles irréversibles sur le corps humain.

Apparu en 2017 en France, le phénomène de la prise de protoxyde d’azote a connu plusieurs phases de haute consommation. L’année 2025 marque un tournant, de par l’évolution de la taille des contenants renfermant le « gaz hilarant » consommé, mais aussi par la médiatisation de plusieurs faits divers marquants. Comme ces trois jeunes morts noyés dans leur voiture dans une piscine du Gard, cet homme de 19 ans renversé en pleine nuit par un conducteur dans le centre-ville de Lille, ou cette adolescente de 17 ans retrouvée morte à son domicile à Roubaix.

À chaque fois le même dénominateur commun : des bonbonnes de protoxyde d’azote retrouvées à proximité des corps ou dans les habitacles des véhicules, et parfois en très grosse quantité.

Neurologue à l’hôpital Saint Vincent de Paul, au sein du Groupement des Hôpitaux de l’Institut Catholique de Lille, Jean-Paul Niguet porte un intérêt particulier à ces problématiques. Pour Le HuffPost, il décrypte longuement tout ce qui touche au sujet, notamment les dégâts parfois irrémédiables que cette forme de drogue peut laisser sur le corps humain.

Le HuffPost : Quel est le profil de la population touchée ?

Jean-Paul Niguet : Dans la grande majorité, ce sont des gens de 18 à 25 ans. Souvent, dans un groupe de consommateurs, celui qu’on voit arriver en consultation ou dans le service de neurologie nous dit que tous ses copains ont des problèmes aussi, mais c’est lui qui reste le plus atteint et qui ne peut plus marcher et qui vient donc consulter.

Ce symptôme est le plus fréquent ?

Les plus fréquents sont des fourmillements dans les pieds, les jambes ou les bras ; une perte de sensibilité ; des pertes de force ; des problèmes de marche, voire l’impossibilité totale de marcher avec des personnes en fauteuil roulant. Il peut aussi y avoir des thromboses, soit des caillots de sang qui se forment, notamment dans les jambes, ce qu’on appelle les phlébites. Mais aussi dans les artères pulmonaires, pour faire des embolies pulmonaires, ce qui reste rare mais peut entraîner le décès. Les veines du cerveau peuvent aussi être touchées et constituer une sorte d’AVC.

Comment le protoxyde d’azote agit-il sur le corps humain ?

Tout part de la vitamine B12 dont on a besoin en certaine quantité. Elle a deux grandes fonctions qui vont être impactées : elle sert à la synthèse et au renouvellement de l’ADN et de la myéline. La myéline, c’est cette gaine qui entoure les fibres nerveuses et qui permet aux messages nerveux de bien se transmettre à la fois dans le cerveau, la moelle épinière et le long des nerfs.

Avec une prise de protoxyde d’azote, cette vitamine B12 reste présente dans l’organisme, mais elle est bloquée. Elle ne peut alors plus servir à la synthèse de la myéline et au renouvellement de l’ADN, ce qui peut donner des dommages, surtout neurologiques. Quand la moelle épinière et les nerfs sont atteints, c’est ce qu’on appelle une myéloneuropathie. Cette atteinte peut s’installer progressivement sur plusieurs mois, mais il y a des patients qui ont une aggravation très rapide, parfois juste en quelques jours.

Au point d’avoir des conséquences irréversibles sur le corps ?

Pour l’instant, il y a peu d’études sur la récupération à long terme. Ce qu’on observe tout de même dans les travaux publiés, c’est qu’il y a une petite proportion de patients qui ne récupèrent pas du tout. Il y a un peu moins de la moitié des patients arrêtant la prise de protoxyde et prenant bien leurs vitamines prescrites qui récupèrent complètement. Cela laisse donc une moitié qui récupérera mais pas complètement, et gardera des séquelles.

Plus on prend du protoxyde d’azote, plus les conséquences sont graves ?

Cela reste difficile de faire des corrélations et de mesurer l’impact d’un nombre de prises. Il y a par exemple des gens qui consomment assez peu par rapport à d’autres, et qui ont beaucoup plus de conséquences que des gens qui ont pu consommer énormément.

Arrive-t-on à recenser ou catégoriser les décès liés à la prise de protoxyde d’azote ?

Il n’y a pas de statistiques connues sur un nombre de morts car ça reste assez difficile d’établir un lien direct. Ce que l’on connaît toutefois, c’est la mort par accidentologie, notamment au volant, au travers de faits divers médiatiques. Une partie des décès par embolie pulmonaire pourrait passer aussi sous les radars, car une prise de protoxyde d’azote n’est pas systématiquement recherchée chez ces patients.

Combien de temps ou de prises faut-il pour devenir addict ?

C’est compliqué de répondre, mais en tout cas ce qui est sûr, c’est que l’addiction existe. C’est un peu un élément nouveau de ces derniers mois, car pendant longtemps on a pensé qu’il n’y avait pas d’addiction. Le fait de continuer à consommer alors qu’on a des complications et qu’on a connaissance des conséquences, c’est un critère pour parler d’addiction.

Il y a aussi des patients qui décrivent d’authentiques syndromes de sevrage. J’avais une patiente qui expliquait que quand elle n’avait pas son protoxyde d’azote le matin, elle devenait extrêmement violente envers ses proches, très énervée, elle se mettait à trembler.

Malgré tout, existe-t-il des cas de personnes devenues addict très rapidement ?
On ne connaît pas la quantité minimale pour être toxique, ni la durée d’exposition minimale. Ce qu’on voit, ce sont des gens qui consomment depuis un certain temps des quantités astronomiques, mais aussi des gens qui ont consommé de grosses quantités sur très peu de temps. On voit aussi des gens qui ne consomment pas des grandes quantités, mais depuis longtemps.

Lien vers l’article : https://www.huffingtonpost.fr/sante/article/certains-ne-recuperent-pas-du-tout-les-ravages-du-protoxyde-d-azote-vus-par-un-neurologue_258309.html

 

 

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