Le CHU de Liège pionner de la recherche sur le gaz hilarant

Le CHU de Liège, pionnier dans la recherche et la lutte contre le gaz hilarant. L’hôpital liégeois se prépare en effet à intégrer le réseau Protoside, lancé en France au départ du CHU de Lille par le docteur Guillaume Grzych. Au programme, prévention, recherche et soins des consommateurs pour contrer un phénomène en pleine expansion.

Le protoxyde d’azote, ou N2O, mieux connu sous le nom de gaz hilarant, est un fléau en pleine expansion, particulièrement chez les jeunes. Et il n’a que peu d’ennemis

La législation peine à freiner la consommation et la vente de ce produit utilisé couramment en pâtisserie, les forces de l’ordre sont dans l’incapacité de détecter une consommation même récente, et la médecine découvre à peine les conséquences sur la santé du produit inhalé à hautes doses.

Mais la résistance s’organise. Le CHU de Liège se prépare en effet à devenir l’épicentre du premier réseau belge de soins et de recherche sur le protoxyde d’azote, sous la houlette du docteur Guillaume Grzych, biologiste au CHU de Lille, à l’origine du premier réseau de ce type, né récemment en France.

Une rencontre avec le professeur Etienne Cavalier, le président du département de chimie clinique au CHU de Liège, a en effet permis aux deux structures d’entamer une collaboration visant à étendre le réseau Protoside (Plateformes et Réseaux pour l’Orientation, le Traitement et l’Organisation des Soins des Intoxications au N2O, Diagnostic et Éducation) à la Cité ardente.

« En cherchant un peu, je me suis aperçu qu’il s’agissait des conséquences d’une intoxication au protoxyde d’azote » Guillaume Grzych

Comme son nom l’indique, ce réseau s’attaque à cette problématique sur plusieurs fronts : la prévention, les soins, la recherche et l’aspect juridique. Une nécessité pour tenter de contrer ce fléau dont on ne savait presque rien voici quelques années encore. « Le protoxyde est apparu plus ou moins pendant le Covid, se souvient le Dr Grzych. À l’époque, j’ai vu des patients avec des bilans biologiques qui présentaient des éléments perturbés. Et, en cherchant un peu, je me suis aperçu qu’il s’agissait des conséquences d’une intoxication au protoxyde d’azote. »

Et, au fil des contacts avec d’autres hôpitaux, le phénomène est apparu dans toute sa « splendeur ». « Et on le découvrait, on ne savait pas quoi faire. On s’est donc rassemblés pour créer une filière de soin. »

Des risques majeurs pour la santé

Car le gaz hilarant, loin de l’image inoffensive qu’offre sa méthode de consommation – il est inhalé grâce à un ballon – présente des risques sérieux pour la santé. « D’abord des accidents, parce qu’on peut avoir des problèmes de perte de conscience et que certains consomment même en conduisant, mais aussi de graves brûlures, indique Guillaume Grzych. Parce que le gaz à l’intérieur des bonbonnes est à -50º. » Et ça, ce n’est « que » pour les consommations occasionnelles…

Les conséquences liées à une consommation chronique sont plus graves encore : troubles psychiatriques, accidents cardiovasculaires, perte de motricité et de coordination progressive… « Ça peut aller jusqu’au fauteuil roulant, continue le responsable de Protoside. Et on ne connaît pas encore tout. Je ne serais pas étonné qu’on découvre d’autres complications plus tard. »

« On peut avoir des problèmes de perte de conscience et certains consomment même en conduisant »

La bonne nouvelle, c’est qu’un parcours de soins, « mais avec une équipe médicale pluridisciplinaire », a maintenant été mis au point par le réseau dont va faire partie le CHU liégeois. Et que la sensibilisation et la formation des professionnels de la santé sont en cours.

La mauvaise, c’est qu’il est toujours impossible d’avoir une vue claire sur le phénomène. Si les capsules, bonbonnes et autres tanks retrouvés en nombre au bord des routes sont un bon indicateur de l’explosion de la consommation de N2O, aucune analyse médicale ne permet en effet actuellement d’objectiver la chose, à moins d’obtenir des aveux des consommateurs.

D’où l’intérêt de fédérer au plus vite les hôpitaux du pays autour de cette thématique, une des missions qui seront dévolues au CHU de Liège en tant que pionnier de la recherche et de la lutte contre le protoxyde d’azote en Belgique.

Infos par mail à protoxyde@chu-lille.fr ou sur le site protoside.com

La Belgique légifère mais se heurte au web

Le législateur peine quelque peu face au gaz hilarant. Contrairement aux stupéfiants, le produit était en effet en vente libre jusqu’il y a peu. « Mais depuis avril 2024, la Belgique interdit l’importation, l’exportation, la vente, l’achat et d’autres applications du protoxyde d’azote quand il n’est pas destiné à des fins médicales, techniques ou comme additif alimentaire », détaille le pharmacien biologiste du CHU de Liège Raphaël Denooz.

Une loi quelque peu floue donc. Difficile en effet de déterminer, en cas de contrôle, l’usage qui sera fait du produit. Elle a toutefois le mérite d’empêcher la commercialisation du N2O dans les établissements horeca, les festivals ou les magasins de nuit par exemple. Mais elle ne permet pas d’empêcher les jeunes d’avoir accès au produit. Quelques clics sur le web permettent en effet de tomber sur des sites spécialisés, voire d’autres davantage axés grand public, pour trouver du protoxyde d’azote sous de multiples formes : de la capsule de quelques grammes au tank de deux kilos, contenant, pour ce dernier jusqu’à 600 doses pour quelques dizaines d’euros.

Et les producteurs de gaz hilarant rivalisent d’ingéniosité pour étendre leur marché, en proposant dorénavant divers goûts, mais surtout en privilégiant la vente en gros. Une manière de transformer tout acheteur en dealer potentiel et donc de continuer à alimenter les marchés qui tentent d’endiguer la consommation de protoxyde d’azote.

Identifier la signature biologique du N2O, une priorité

Outre le parcours de soins qui a été mis en place, les membres du réseau Protoside mènent également des recherches visant à aider à lutter légalement contre la consommation de protoxyde d’azote. Aujourd’hui, toute trace du produit disparaît en effet du sang en quelques minutes seulement. Impossible dès lors pour les forces de l’ordre de détecter une consommation, même récente. « Le problème, c’est qu’on ne dispose pas de marqueurs biologiques, explique le docteur Grzych. C’est ce que nous recherchons maintenant. On utilise ainsi la RMN du CHU qui nous permet d’analyser des dizaines de paramètres dans des échantillons de sang de patients. Le problème, c’est qu’il faut que ces patients avouent d’abord avoir consommé. »

Or, cette signature biologique est indispensable pour aller plus loin, tant dans la répression que dans le suivi des patients. « Ce qu’on a pour l’instant, ce sont des marqueurs indirects, précise la pharmacienne biologiste Laura Vranken. Ça atteste de la consommation, mais on ne peut pas le certifier. »

Pour le suivi des patients

D’où la nécessité de mener des études à plus grande échelle, voire sur l’animal, pour découvrir ces marqueurs directs qui prouveraient avec certitude – et rapidement – une consommation de N2O. « Soit des substances que l’on a naturellement dans le sang et qui sont modifiées suite à la consommation, ou de nouvelles qui seraient créées à cause du protoxyde d’azote », complète M. Denooz.

La découverte de cette signature biologique du proto permettrait donc de mettre au point des tests utilisables par les forces de l’ordre, mais également d’assurer un suivi, médical et pénal au besoin, des patients. « On pourrait ainsi leur montrer objectivement qu’ils vont mieux, mais aussi, en cas de mesures probatoires par exemple, s’assurer que la personne n’a pas recommencé à prendre du protoxyde d’azote », conclut Raphaël Denooz.

Une campagne « jeux vidéo » pour sensibiliser les jeunes

L’adage selon lequel il vaut mieux prévenir que guérir est évidemment valable pour le gaz hilarant. Mais encore faut-il toucher le public-cible. Le réseau Protoside a donc collaboré avec un lycée français, qui a élaboré une campagne de prévention et de communication axée sur les jeux vidéo.

Call of Duty, Minecraft, Red Dead Redemption, GTA, Star Wars, Mario Kart, tous les best-sellers qui parlent à la « jeune » génération ont été retravaillés pour informer les consommateurs des risques liés au protoxyde d’azote et les orienter vers le monde médical.

Consommé par des jeunes, mais pas uniquement

Qui est le consommateur-type de gaz hilarant ? « Il n’y a pas de profil-type, estime Guillaume Grzych. Tout dépend de la porte d’entrée. En milieu festif, on retrouve souvent des jeunes, entre 20 et 22 ans, mais ça n’exclut pas des consommateurs plus âgés. »

Certains utilisent en effet le N2O pour anesthésier la douleur ou pour traiter des symptômes dépressifs. Ce qui amène donc des quadragénaires à tomber aussi dans l’engrenage du protoxyde d’azote. Qui, pour la petite histoire, a été découvert en 1772 et utilisé initialement… « pour la défonce, raconte le chercheur français. C’est en assistant à une ‘démonstration’ qu’un médecin a eu l’idée de l’utiliser comme anesthésiant, quand il a constaté qu’un consommateur qui venait de se blesser ne se rendait compte de rien. »

En dehors du domaine médical, le protoxyde d’azote est utilisé également comme propulseur dans les aérosols (cartouche pour crème chantilly) et comme oxydant dans les moteurs à fusée. Il est également utilisé dans la fabrication de semi-conducteurs.

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