Le protoxyde d’azote ou gaz hilarant est détourné de son utilisation première pour provoquer une euphorie passagère. Un usage qui s’est développé en particulier chez les jeunes qui n’en connaissent souvent pas les conséquences irréversibles. Un collectif médical s’est créé à Lille pour mieux traiter ce phénomène. Une première en France. Le protoxyde d’azote, que l’on appelle également « proto » ou « gaz hilarant », est à l’origine utilisé dans le secteur alimentaire pour la confection de chantilly en siphon. Il est également employé comme anesthésiant (le MEOPA) dans le cadre médical. Ce gaz contenu dans des petites capsules, que l’on trouve en vente libre pour les siphons à chantilly, peut cependant être aussi injecté dans un ballon de baudruche puis inhalé. Il a alors le pouvoir de provoquer instantanément une euphorie de deux à trois minutes. En témoignent les capsules que l’on trouve en nombre le long des trottoirs ou sur les pelouses des parcs urbains. Cet usage récréatif, depuis quelque temps déjà, est un vrai phénomène auprès des adolescents et lycéens, avides de vivre un bref instant euphorisant. Mais ont-ils pour autant conscience des effets dévastateurs de ce gaz ?
Des effets qui peuvent être irréversibles – Altération de l’équilibre, tétraplégie temporaire, pour le Docteur Grzych, Maitre de Conférences des Universités et métabolicien au CHU de Lille, les effets de ce gaz sont sans appel : « ce gaz hilarant peut avoir des conséquences dramatiques. Le Protoxyde d’azote est une molécule très oxydante. Sa consommation massive et chronique entraîne l’inactivation de la vitamine B-12 essentielle au bon fonctionnement de notre moelle osseuse et épinière, les conséquences peuvent être, la perte de contrôle (notamment en voiture), l’apparition de thrombose, jusqu’à des complications motrices, entraînant une paralysie, qui nécessite l’usage d’un fauteuil roulant, et ce, de manière irréversible ».Cette consommation massive s’explique également car les premiers symptômes sont souvent bénins et donc non alarmants (effet euphorisant). Des effets immédiats et brefs, qui conduisent les usagers à une consommation répétitive. L’effet de mode, le prix bas, l’accessibilité du produit sont également autant de raisons qui justifient cet engouement des jeunes pour le protoxyde d’azote.
Un véritable marché – À cela s’ajoute l’hypocrisie de certains industriels. Le Docteur Grzych, le note : « Avant, on comptait les cartouches dans une soirée ; maintenant, on compte les bonbonnes. » Et pour cause, des industriels commercialisent aujourd’hui sur leur site des bonbonnes pouvant contenir l’équivalent de 100 capsules. Pire, sur ces sites commerciaux, la vente de ces bombonnes se conjugue avec une iconographie, mettant en avant une ambiance festive avec alcool et tabac. On est très loin d’un gaz permettant la fabrication d’un gâteau à la chantilly. Ces sites vont même jusqu’à vous proposer d’être grossiste revendeur. Le problème explique le Docteur Grzych, est que « la commercialisation de ces bonbonnes, minimise la consommation. Lorsqu’ils utilisent plusieurs petites capsules, les jeunes peuvent visuellement prendre conscience de la quantité absorbée. L’usage d’une seule bonbonne, enlève tout discernement quant à la quantité absorbée (alors qu’ils consomment en réalité une centaine de capsules d’un coup). » Ce conditionnement favorise indéniablement une surconsommation. Pris à temps et la consommation de ce gaz stoppée immédiatement, on peut par un traitement mis en place rapidement, soigner le patient. Mais si la consommation perdure, les séquelles sont irréversibles. D’où la nécessité de porter le bon diagnostic et le plus rapidement possible.
Prévenir pour freiner la consommation – C’est une des principales difficultés à laquelle sont confrontés les médecins : porter le bon diagnostic. L’usage du protoxyde d’azote, présente également des effets chroniques, fourmillements ou troubles de la marche semblables par exemple à ceux de la sclérose en plaques.
Mieux former les médecins, pour un diagnostic pointu et plus rapide, c’est l’un des objectifs du collectif médical, mis en place par le Docteur Grzych, la neurologue Céline Tard, et l’addictologue Sylvie Deheul, au CHU de Lille avec le soutien de l’ARS des Hauts-de-France. Ce collectif de médecins rassemble également des biologistes et des cardiologues afin de créer une synergie de groupe, pour partager les protocoles mis en place par les différents praticiens. Objectif : proposer ainsi la meilleure prise en charge pour le patient.
L’objectif est également de mieux comprendre les effets du protoxyde d’azote sur l’organisme. En cherchant notamment les nouveaux marqueurs sanguins, afin de déterminer de nouveaux traitements.
L’objectif de ce collectif, précise le Docteur Grzych, « est également de mieux comprendre les effets du protoxyde d’azote sur l’organisme. En cherchant notamment les nouveaux marqueurs sanguins, afin de déterminer de nouveaux traitements. Actuellement, on sait que la vitamine B12 peut aider à la récupération physique du patient, mais elle n’agit pas dans tous les cas.
Certains patients consomment par exemple des compléments alimentaires enrichis en vitamine B12. Ceux-ci n’auront aucun effet si ils continuent en parallèle à inhaler le protoxyde d’azote, car rappelons-le, le gaz empêche la vitamine d’agir. »
L’idée du collectif est de proposer : une filière de soin personnalisée pour les patients, comprendre la nature des complications liées aux altérations globales du métabolisme, trouver des marqueurs de consommation et de complications, afin de proposer des thérapeutiques adaptées à chaque patient.
Autant de projets de recherche qui vont être initiés par ce collectif et pour lesquels l’équipe médicale tente actuellement d’obtenir des financements à travers des appels à projets nationaux et internationaux. Des projets de recherche qui seront notamment évoqués lors d’un congrès européen à Munich en avril prochain.
Face à l’ampleur du phénomène chez les jeunes, les praticiens s’étonnent de la difficulté des pouvoirs publics à réagir. Alors que l’usage détourné du protoxyde d’azote est grandissant, ils ne peuvent se résigner à un manque de connaissances concrètes et de préoccupations suffisantes pour en interrompre la consommation.
Point positif, la législation a été renforcée par l’adoption l’année dernière d’une nouvelle loi, portée par des élus du Nord.