Protoxyde d’azote et sécurité routière : défis et opportunités pour le dépistage biologique

Guillaume GRZYCH, Bruno MEGARBANE, Remy DIESNIS, Anthony CHAUVIN, Damien DENIMAL, Remy DIESNIS,
Emeline GERNEZ, Isabelle REDONNET-VERNHET, Justine BLIN, Isabelle KIM, Mickael BONNAN, Jean-Paul NIGUET,
Stéphanie BADIOU, Etienne MONDESERT, Nicolas FABRESSE, François PARANT, Apolline IMBARD, Agnès BOULLIER
Pour le Groupe de Travail SFBC « Prise en charge biologique des intoxications au protoxyde d’azote »

Résumé : Cet article met en lumière l’importance de reconnaître et de traiter les dangers émergents associés à la consommation de
protoxyde d’azote (N2
O), tout en soulignant les défis dans la prévention des accidents de la route liés à cette consommation.

  1. INTRODUCTION ET CONTEXTE

Les accidents de la route et plus généralement les accidents de la voie publique (AVP), qui regroupent tout événement survenant sur la voie publique impliquant au moins un véhicule et causant des dommages corporels et/ou matériels, représentent un problème majeur de santé publique à travers le monde. Chaque année, des millions de personnes sont blessées ou perdent la vie dans des AVP, entraînant des conséquences dévastatrices pour les individus et la société. Parmi les nombreux facteurs contribuant à ces accidents (notamment la vitesse), la conduite sous l’emprise de substances psychoactives a une part importante. Ces substances, qu’il s’agisse d’alcool, de stupéfiants ou de certains médicaments, altèrent significativement les capacités de conduite en modifiant la perception, le temps de réaction et le jugement des conducteurs. Les drogues et l’alcool sont reconnus pour altérer les capacités de conduite, augmentant le risque d’accidents. L’alcool diminue ainsi la coordination et allonge le temps de réaction, tandis que les drogues comme la cocaïne ou les amphétaminiques peuvent entraîner des comportements impulsifs et imprévisibles. Grâce aux avancées en biotechnologie, des tests de dépistage performants en termes de sensibilité et de spécificité ont été développés pour détecter ces substances dans les fluides corporels, contribuant ainsi à la sécurité routière. Les tests d’alcoolémie, ainsi que les analyses de sang, d’urine et de salive pour diverses drogues, permettent aux forces de l’ordre de contrôler et de sanctionner les conducteurs sous influence, participant ainsi à l’action publique en matière de lutte contre l’insécurité routière qui s’appuie sur trois volets stratégiques forts : la « prévention », la « communication » et la « répression ». Deux morts et un blessé grave à Saint-Thibéry (Hérault) en décembre 2021. Le protoxyde d’azote (ou gaz hilarant) et le cannabis sont à l’origine de cet accident mortel. Quatre bonbonnes de 615 grammes de protoxyde d’azote étaient découvertes dans l’habitacle de la voiture. Peu de temps avant l’accident, la conductrice avait mis en ligne sur Snapchat, alors qu’elle conduisait, une vidéo montrant les occupants du véhicule en train de consommer du protoxyde d’azote. Ce terrible fait divers, parmi d’autres, illustrent les dangers de la conduite sous l’emprise de protoxyde d’azote. En effet, le protoxyde d’azote, initialement utilisé dans des contextes médicaux et industriels, est de plus en plus détourné pour un usage récréatif, notamment parmi les jeunes. Sa capacité à induire rapidement des sensations de plaisir et de détente en fait une substance attractive, mais ses effets sur les capacités de conduite sont alarmants. Contrairement à l’alcool et aux drogues traditionnelles, le protoxyde d’azote est très rapidement éliminé de l’organisme, ce qui rend, de fait, difficile la preuve analytique de la conduite sous influence du protoxyde d’azote. De plus, le manque de réglementation stricte concernant la vente et l’utilisation du protoxyde d’azote facilite son accessibilité et son usage abusif. Les utilisateurs peuvent facilement se procurer des cartouches ou des bouteilles de gaz et les consommer sans se soucier des conséquences légales ou des risques pour la sécurité routière. Cette situation souligne l’urgence de développer des tests de dépistage spécifiques et de renforcer les lois pour prévenir l’abus de protoxyde d’azote et protéger la sécurité publique. Bien que des progrès significatifs aient été réalisés pour détecter les substances ou plantes psychoactives classées comme stupéfiants, le protoxyde d’azote représente un nouveau défi qui nécessite une attention accrue. La recherche et le développement de nouvelles technologies de dépistage, ainsi que la mise en place de réglementations appropriées, sont essentiels pour faire face à ce nouveau défi de prévention routière.

II – SUBSTANCES ACCIDENTOGÈNES

La consommation de substances psychoactives est un facteur majeur de risque d’accidents de la route (1). En effet, diverses substances dont l’alcool, les drogues illégales, et certains médicaments, ont des effets délétères sur les capacités cognitives et motrices des individus, ayant pour conséquence une augmentation du risque d’accidents routiers. Les tests de dépistage actuellement disponibles sont sensibles, spécifiques et rapides et leurs usages s’intègrent pleinement dans la politique de prévention routière (Tableau I).

  1. L’ÉTHANOL

L’éthanol est l’une des substances les plus couramment impliquées dans les accidents de la route. L’alcool affecte le système nerveux central avec pour conséquences une diminution des capacités de coordination, un allongement du temps de réaction et une altération du jugement. Le contrôle de l’absence de dépassement des seuils autorisés par le code de la route s’effectue par dosage de l’éthanol dans l’air expiré à l’aide d’éthylomètre (basé sur la loi de Henry : le rapport constant entre le taux d’alcool expiré et ce taux dans le sang est de 1/2000) ou par dosage dans le sang total (éthanolémie).

  1. LES STUPÉFIANTS

Le dépistage des stupéfiants dans le cadre de la conduite automobile se déroule en 2 temps : la procédure de dépistage et la procédure de confirmation. Les tests de dépistage sont réalisés sur salive ou analyses d’urines. Le dosage de confirmation est réalisé sur sang ou salive.

  1. LES CANNABINOÏDES

Les cannabinoïdes sont une autre catégorie de substances fréquemment détectées chez les conducteurs impliqués dans des accidents de la route. Le tétrahydrocannabinol (THC), le principal composé psychoactif du cannabis, altère la perception du temps et de l’espace, réduit la coordination motrice et ralentit le temps de réaction. La détection des cannabinoïdes se fait Substances Effets et conséquences sur la conduite Dépistages / Dosages dans un contexte d’AVP ou de prévention routière Alcool Diminution des capacités de coordination Allongement du temps de réaction Altération du jugement Air expiré (Dépistage/Dosage) Sang (Dosage) Cannabinoïdes Altération de la perception du temps et de l’espace Réduction de la coordination motrice Ralentissement du temps de réaction Urines et Salive (Dépistage) Sang et Salive (Dosage) Opiacés (Codéine, Morphine, Héroïne,…) Somnolence extrême Confusion mentale Diminution de la coordination motrice Méthamphétamine et Amphétamine Hyperexcitation Comportement impulsifs Altération du jugement Cocaïne Surestimation des capacités Prise de risques accrue Diminution de la coordination motrice Benzodiazépines Somnolence Relaxation musculaire Altération des capacités cognitives Sang (Dosage) principalement par des analyses d’urine (11-Nor[1]9-carboxy-THC = THC-COOH), de sang ou de salive (THC), permettant de déterminer la présence récente de cette substance chez les conducteurs.

  1. LES OPIACÉS

Les opiacés incluent des substances telles que l’héroïne, la morphine ou des médicaments comme la codéine. Ces substances peuvent provoquer une somnolence extrême, une confusion mentale et une diminution de la coordination motrice, rendant la conduite extrêmement dangereuse. Les tests de dépistage des opiacés se font généralement par des analyses d’urine qui permettent de détecter la présence de morphine (les voies métaboliques des opiacés conduisent à la morphine).

  1. LES AMPHÉTAMINIQUES

Les amphétaminiques (amphétamine/métham[1]phétamine et MDMA (=ecstasy), …) sont des stimulants puissants qui peuvent provoquer une hyperexcitation, des comportements impulsifs et une diminution de la capacité à juger correctement les situations de conduite. Bien que ces substances augmentent la vigilance à court terme, leurs effets néfastes sur le comportement et la coordination peuvent considérablement augmenter le risque d’accidents. La présence de ces stimulants peut être mesurée dans les urines et le sang en pratique courante.

  1. LA COCAÏNE

La cocaïne est un autre stimulant qui peut entraîner une surestimation des capacités, une prise de risques accrue et une diminution de la coordination motrice. Le dépistage de la cocaïne et de ses métabolites se fait principalement par analyse de dérivés (benzoylecgonine) dans la salive ou les urines. Les dosages de confirmation seront réalisés sur un prélèvement sanguin ou de la salive.

  1. LES MÉDICAMENTS

Les benzodiazépines, prescrites pour traiter l’anxiété et les troubles du sommeil, peuvent provoquer une somnolence, une relaxation musculaire et une altération des capacités cognitives. Leur effet sédatif peut sérieusement compromettre la capacité à conduire en toute sécurité. Les tests de dépistage des benzodiazépines se font généralement par des analyses dans l’urine, permettant de détecter leur présence et leur usage récent. La détection de toutes ces substances est essentielle pour la mise en œuvre de politiques de sécurité routière efficaces. Les technologies de dépistage modernes permettent de détecter la présence de ces substances avec de bonnes sensibilité et spécificité, et peuvent être complétées par des dosages de confirmation par méthodes chromatographiques permettant une identification absolue. Ces techniques fournissent ainsi des informations cruciales pour évaluer le niveau d’intoxication et le risque pour la sécurité routière. Cependant, de nouvelles substances psychoactives continuent d’émerger (nouveaux produits de synthèses, protoxyde d’azote, …), nécessitant des adaptations continues des méthodes de dépistage pour maintenir la sécurité sur les routes.

III – LE PROTOXYDE D’AZOTE (N2 O) : NOUVELLE SUBSTANCE ACCIDENTOGÈNE

  1. USAGE DÉTOURNÉ DU PROTOXYDE D’AZOTE À DES FINS RÉCRÉATIVES

Le protoxyde d’azote, historiquement utilisé pour ses propriétés anesthésiques en médecine et comme agent propulseur dans les siphons à crème chantilly, a vu son usage détourné à des fins récréatives. Sa capacité à induire rapidement des sensations d’euphorie et de relaxation en a fait une substance populaire parmi les jeunes, souvent consommée lors de fêtes et d’événements sociaux (Figure 1) (2). Cette utilisation récréative du protoxyde d’azote s’est répandue en raison de son accessibilité et de la perception erronée de son innocuité. Disponible sous forme de cartouches destinées à l’usage alimentaire, il est facilement détourné par les consommateurs qui l’inhalent directement à partir de ballons gonflés avec les cartouches (Figure 1). Ce mode de consommation, bien que perçu comme inoffensif, présente des risques pour la santé, incluant des troubles neurologiques et des accidents dus à l’altération des capacités psychomotrices. Au fil des années, les modes de consommation du protoxyde d’azote ont évolué, avec une augmentation de l’utilisation de contenants de grands volumes (Figure 1) (3). Initialement limité aux petites cartouches pour siphons à crème (environ 6 g de N 2 0), l’usage s’est étendu aux bouteilles de protoxyde d’azote de taille industrielle (650 g à 2 kg de N 2 0). Ces grandes bouteilles, souvent utilisées dans des contextes professionnels, permettent des inhalations répétées et en grandes quantités, exacerbant les risques pour la santé. Les événements festifs, tels que les festivals de musique et les soirées en boîte de nuit (Figure 1), sont ainsi devenus des lieux privilégiés pour la consommation de protoxyde d’azote. La vente de ballons remplis de gaz est courante, et les participants peuvent consomment plusieurs ballons en une seule soirée, augmentant ainsi le risque de surdosage et d’accidents. L’inhalation de protoxyde d’azote en grandes quantités peut entraîner des effets graves, tels que des carences fonctionnelles en vitamine B12, des lésions nerveuses, et des troubles cognitifs (4). Les utilisateurs sont également exposés à des risques immédiats, comme des pertes de connaissance et des accidents dus à la désorientation. La consommation fréquente et en grandes quantités accroît les risques de dépendance et de dommages neurologiques permanents (5) (Figure 2).

  1. ÉPIDÉMIOLOGIE DES ACCIDENTS DE LA ROUTE LIÉS À LA CONSOMMATION DU PROTOXYDE D’AZOTE

L’usage récréatif du protoxyde d’azote est une tendance croissante, en particulier parmi les jeunes en France et en Europe (18-25 ans). Cette augmentation de la consommation est associée à une augmentation des risques d’accidents de la route. Des études menées par divers instituts de recherche et de sécurité routière confirment cette tendance inquiétante. Une enquête menée par l’European Transport Safety Council (ETSC) en 2022 a identifié le protoxyde d’azote comme l’une des substances émergentes les plus préoccupantes en matière de sécurité routière (6). En France, les données récentes montrent une augmentation des accidents de la route impliquant la consommation de protoxyde d’azote. Selon l’Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière (ONISR), environ 11 % des accidents graves survenus en 2023 impliquaient des conducteurs sous l’influence de substances psychoactives dont le protoxyde d’azote (7). Les forces de l’ordre indiquent également une hausse des interpellations pour conduite sous l’influence de cette substance, particulièrement lors des contrôles routiers nocturnes dans les zones urbaines et périurbaines. À l’échelle européenne, le phénomène est similaire. L’Agence Européenne des Drogues (EMCDDA) a publié un rapport en 2023 soulignant une augmentation significative de l’usage récréatif du protoxyde d’azote et son implication dans les accidents de la route. En 2022, on estime que près de 7 % des accidents mortels survenus en Europe impliquaient des conducteurs ayant consommé du protoxyde d’azote, seul ou en combinaison avec d’autres substances. Les pays les plus touchés incluent les Pays-Bas, l’Allemagne, et le Royaume[1]Uni, où l’accessibilité et l’usage récréatif de cette substance sont particulièrement répandus. Aux Pays-Bas, il a été constaté que le nombre d’accidents de la route impliquant la consommation de protoxyde d’azote a augmenté de 80 % entre 2019 et 2021 (de 2 652 à 4 860 accidents) (8). Les chiffres des accidents de la route liés à la consommation de protoxyde d’azote en France et en Europe mettent en évidence un problème croissant et ce, d’autant plus que ces chiffres sont probablement sous-estimés. Cette sous-estimation est due aux difficultés de dépistage et de diagnostic spécifiques à cette substance. Le protoxyde d’azote est rapidement éliminé de l’organisme, ce qui rend sa détection difficile avec des tests standardisés pouvant être utilisés lors des contrôles routiers. Compte tenu des défis de dépistage et de diagnostic, il est crucial de poursuivre la recherche et de mettre en place des mesures plus efficaces pour identifier et prévenir l’abus de cette substance sur les routes. En réponse à cette augmentation, plusieurs initiatives ont ainsi été lancées pour mieux comprendre et contrôler l’usage de protoxyde d’azote sur les routes. En France, des campagnes de sensibilisation ont été intensifiées grâce à l’action conjointe des Agences de Santé Régionales des Hauts de France et d’Ile de France (9). À l’échelle européenne, l’European Federation of Clinical Chemistry and Laboratory Medicine (EFLM) a mis en place un réseau d’experts pour harmoniser les stratégies de prise en charge médicale et les protocoles de dépistage, afin de réduire les accidents liés à cette substance.

  1. EFFETS DU PROTOXYDE D’AZOTE SUR LA CONDUITE (FIGURE 3)

Vertiges et confusion mentale : Le protoxyde d’azote provoque souvent des sensations de vertige et de confusion mentale. Ces effets peuvent perturber la capacité du conducteur à se concentrer sur la route et à réagir rapidement aux situations imprévues. La sensation de désorientation peut également altérer la perception de l’environnement routier, rendant difficile le maintien de la direction et de la vitesse appropriées (10). Perte de coordination : Une des conséquences majeures de l’inhalation de protoxyde d’azote est la perte de coordination motrice. Cette altération affecte les mouvements précis nécessaires pour conduire un véhicule en toute sécurité, comme tourner le volant, utiliser les pédales et surveiller les rétroviseurs. La diminution de la coordination augmente le risque de perte de contrôle du véhicule, particulièrement dans les situations d’urgence (10). Augmentation du temps de réaction : Le protoxyde d’azote ralentit les réflexes, allongeant le temps nécessaire pour répondre à un danger imminent. Cette réduction du temps de réaction est particulièrement dangereuse dans des contextes de conduite à grande vitesse ou dans des environnements de trafic dense, où les décisions doivent être prises en une fraction de seconde (10). Euphorie et sensation de puissance : Le sentiment d’euphorie induit par le protoxyde d’azote peut conduire à une sous-estimation des risques et à une prise de décisions imprudentes. Les conducteurs peuvent se sentir invincibles et tenter des manœuvres dangereuses, comme la conduite à grande vitesse, les dépassements illégaux, ou le non-respect des feux de signalisation (10). Effets cumulatifs et polyconsommation : le protoxyde d’azote peut être consommé en combinaison avec d’autres substances psychoactives telles que l’alcool ou le cannabis (11). Cette polyconsommation peut exacerber les effets négatifs de chaque substance, augmentant de manière exponentielle les risques pour la sécurité routière. La combinaison de ces substances peut entraîner une sédation profonde, une désorientation accrue et une réduction encore plus marquée des capacités de conduite.

  1. RISQUES ET DÉFIS À RELEVER POUR LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE

Augmentation des accidents : Les effets cognitifs et physiques du protoxyde d’azote sur les conducteurs augmentent directement le risque d’accidents. Difficulté de dépistage : Contrairement à l’alcool ou à d’autres drogues, le protoxyde d’azote est difficile à détecter avec les analyses toxicologiques standards. Sa courte demi-vie dans l’organisme signifie qu’il peut ne plus être présent dans les fluides corporels lors des contrôles de police, même si ses effets perdurent.

Manque de connaissance et de sensibilisation : Beaucoup de conducteurs, en particulier les jeunes, ne sont pas conscients des dangers associés à l’inhalation de protoxyde d’azote avant de prendre le volant. Cette ignorance augmente le risque de consommation avant de conduire, souvent en croyant à tort que les effets sont inoffensifs ou de courte durée.

Réglementation inadéquate : Les lois actuelles sur l’usage du protoxyde d’azote sont souvent insuffisantes pour prévenir son abus. Dans de nombreux pays, cette substance est facilement accessible et peu réglementée, ce qui facilite sa consommation abusive, y compris avant de conduire.

  1. EFFETS DU PROTOXYDE D’AZOTE SUR LE COMPORTEMENT DE CONDUITE : ÉTUDE RÉCENTE

Le protoxyde d’azote est un intoxicant récréatif populaire, et le matériel associé est de plus en plus souvent retrouvé sur les lieux d’accidents de la route, suggérant que l’intoxication au N 2 O contribue de manière causale à un nombre significatif d’accidents de la route (8). Cependant, les informations sur les caractéristiques pharmacodynamiques et cinétiques du N 2 O en usage récréatif sont limitées (3), ce qui entrave ainsi la formulation de politiques et leur application. Une étude récente menée par l’Université de Maastricht en collaboration avec l’Organisation Néerlandaise pour la Recherche Scientifique appliquée (the Netherlands Organisation for Applied Scientific Research : TNO) et le Leiden University Medical Centre a révélé que l’utilisation récréative du protoxyde d’azote altère significativement les capacités de conduite bien au-delà de la période d’intoxication immédiate. Même après la dissipation des effets euphorisants initiaux, des altérations psychomotrices résiduelles persistent pendant au moins 45 minutes, compromettant ainsi la sécurité routière. Les chercheurs ont testé des techniques de mesure prometteuses en laboratoire, démontrant la faisabilité de la détection de cette substance dans des contextes d’application légale. L’étude recommande des recherches supplé[1]mentaires pour déterminer précisément comment le protoxyde d’azote affecte les différentes facettes de la capacité de conduite et établir des concentrations limites pour le dépistage routier. Ces découvertes mettent en évidence la nécessité de développer des instruments de mesure spécifiques pour améliorer la sécurité routière en lien avec l’usage du protoxyde d’azote. Cependant, mis à part un résumé de l’étude sur le site internet de l’université, aucune publication scientifique officielle ne met en avant les résultats vérifiés et publiés de cette étude début 2024 (12). Les réponses d’une enquête en ligne menée auprès de 511 utilisateurs de N 2 O ont révélé que la majorité des participants inhalait du N 2 O à partir de ballons de fête remplis de 4 à 14 litres de gaz. L’inhalation se faisait généralement selon une technique de «re-respiration» répétitive, avec des pauses de 20 à 30 secondes toutes les six respirations, ou sans pauses, pour un total d’environ 12 cycles. De plus, 10,3 % des répondants ont admis avoir inhalé du N2 O en conduisant. Le départ en voiture dans l’heure suivant l’inhalation était fréquent, ce qui définit une période pertinente pour l’étude des effets psychomoteurs de l’utilisation récréative du N2 O dans les recherches futures (13). Cependant, en plus d’un test de dépistage rapide, il sera nécessaire de pouvoir développer un test de confirmation biologique fiable et robuste sur échantillon sanguin afin de pouvoir s’assurer de la réelle exposition biologique de l’individu au protoxyde d’azote en lien avec ses actions psychoactives.

IV – DÉFIS DU DÉPISTAGE ROUTIER DU PROTOXYDE D’AZOTE

Avec l’augmentation de l’utilisation récréative du protoxyde d’azote, il devient impératif de développer des tests de dépistage spécifiques et fiables pour cette substance, afin de prévenir les accidents de la route et de protéger la santé publique. Le dépistage du protoxyde d’azote sur les routes présente plusieurs défis uniques en toxicologie et en biologie médicale. Contrairement à l’alcool ou à d’autres drogues, le protoxyde d’azote est rapidement éliminé du corps, rendant sa détection difficile avec les tests de dépistage routiers standard. Les méthodes courantes, telles que les analyses de l’air expiré, du sang, ou de l’urine, ne sont pas optimisées pour cette substance, ce qui complique l’identification précise de l’intoxication au moment de l’incident.

  1. RAPIDITÉ DE MÉTABOLISATION

Le protoxyde d’azote est caractérisé par une rapide métabolisation et élimination, souvent en quelques minutes à une heure après l’inhalation (3). Cette caractéristique réduit considérablement la fenêtre de temps pendant laquelle la substance est détectable dans les fluides corporels, posant un défi majeur pour les forces de l’ordre lors des contrôles routiers. En conséquence, un conducteur sous l’influence de protoxyde d’azote pourrait ne plus présenter de traces détectables au moment du test, malgré une altération encore présente de ses capacités de conduite.

  1. UTILISATION DES PARAMÈTRES MÉTABOLIQUES POUR LE DÉPISTAGE

Le dépistage de la consommation de protoxyde d’azote repose souvent sur un dépistage indirect en dosant des paramètres métaboliques tels que la vitamine B12, l’homocystéine et l’acide méthylmalonique qui sont impactés par la consommation de N2 O. Ces biomarqueurs sont donc utilisés pour identifier les effets biochimiques de l’exposition au protoxyde d’azote, qui peut inhiber les fonctions de la méthionine synthase et de la méthylmalonyl-CoA mutase, des enzymes dépendantes de la vitamine B12 (Figure 4). 2.1 Vitamine B12 Le protoxyde d’azote oxyde l’atome de cobalt présent dans la structure de la vitamine B12, ce qui perturbe la synthèse de l’ADN et les fonctions neuronales. Un déficit en vitamine B12, détectable par une diminution des concentrations sériques, peut indiquer une consommation prolongée de protoxyde d’azote. Cependant, le dosage de la vitamine B12 manque de spécificité car une diminution de sa concentration peut être due à diverses autres conditions médicales, comme des troubles gastro-intestinaux ou une malabsorption. De plus le protoxyde d’azote entraine une inactivation de la vitamine B12 qui ne conduit pas forcément à un déficit quantitatif (14). 2.2 Homocystéine Le protoxyde d’azote, par diminution de la quantité de vitamine B12 active, peut entrainer une diminution de l’activité enzymatique de la méthionine synthase dont cette dernière est le cofacteur. En conséquence, cela peut entrainer une augmentation de la concentration plasmatique de l’homocystéine, substrat de la méthionine synthase. Cependant, des concentrations élevées d’homocystéine peuvent également résulter de facteurs alimentaires, génétiques ou d’autres pathologies, réduisant ainsi la spécificité de ce biomarqueur pour le dépistage de l’abus de protoxyde d’azote (15). 2.3 Acide méthylmalonique Le protoxyde d’azote, par diminution de la quantité de vitamine B12 active, peut entrainer une diminution de l’activité enzymatique de la méthylmalonyl-CoA mutase dont cette dernière est le cofacteur. En conséquence, cela peut entrainer une augmentation de la concentration plasmatique ou urinaire de l’acide méthylmalonique, substrat de la méthylmalonyl[1]CoA mutase. Comme pour l’homocystéine, un taux élevé d’acide méthylmalonique peut être dû à diverses causes, y compris des carences alimentaires en vitamine B12 ou des maladies métaboliques héréditaires, ce qui limite son utilisation comme indicateur spécifique de la consommation de protoxyde d’azote (16). Figure 4 Impact métabolique du protoxyde d’azote et variations plasmatiques des métabolites d’intérêt. Cb : Cobalamine, Co : Cobalt, THF : TétraHydroFolate, MMA : Acide Méthylmalonique, SAH : S adénosyl homocystéine, SAM : S adénosyl Méthionine

  1. DIFFICULTÉS RENCONTRÉES POUR LE DÉPISTAGE

Actuellement, il n’existe pas de tests rapides de dépistage disponibles pouvant être réalisés au « bord de la route » par les forces de l’ordre. Quant aux tests réalisés en laboratoire (vitamine B12, homocystéine totale, acide méthylmalonique), ils souffrent de limites importantes : 3.1 Manque de spécificité Bien que ces paramètres métaboliques puissent fournir des indices sur une possible exposition au protoxyde d’azote, leur manque de spécificité pose un problème significatif. Les niveaux de vitamine B12, d’homocystéine et d’acide méthylmalonique peuvent être influencés par de nombreux facteurs non liés à l’usage de protoxyde d’azote, rendant difficile l’attribution directe de ces anomalies métaboliques à la consommation de cette substance. Par conséquent, il est crucial de développer des méthodes de dépistage plus spécifiques pour identifier de manière fiable l’abus de protoxyde d’azote et de poursuivre la recherche pour améliorer la précision des tests diagnostiques. 3.2 Absence de tests standardisés Actuellement, il n’existe pas de tests de dépistage standardisés pour le protoxyde d’azote dans les contextes routiers. Les tests utilisés pour d’autres substances ne sont pas adaptés pour détecter les faibles concentrations résiduelles de protoxyde d’azote après inhalation. La mise au point de tests spécifiques nécessite des recherches approfondies pour identifier des biomarqueurs fiables et développer des technologies de détection rapides et précises (3). 3.3 Variabilité des effets Les effets du protoxyde d’azote peuvent varier considérablement d’un individu à l’autre, en fonction de la dose inhalée, de la fréquence d’utilisation et des caractéristiques physiologiques individuelles. Cette variabilité complique encore l’évaluation des niveaux de concentration critiques qui pourraient être associés à une altération significative de la capacité de conduite. Les biologistes médicaux doivent donc travailler sur l’établissement de seuils de dépistage pertinents qui prennent en compte ces variations interindividuelles. 3.4 Manque de connaissance et de sensibilisation Le manque de sensibilisation et de formation des professionnels de santé et des forces de l’ordre concernant les dangers spécifiques du protoxyde d’azote est un autre obstacle majeur. Sans une connaissance adéquate des signes et symptômes d’intoxication, il est difficile de suspecter et de confirmer l’usage de cette substance lors des contrôles routiers. Des programmes de formation spécialisés et des campagnes de sensibilisation sont essentiels pour combler cette lacune. Les défis du dépistage routier du protoxyde d’azote mettent en lumière la nécessité de renforcer la recherche en biologie médicale pour développer des méthodes de détection efficaces et fiables. La complexité de cette tâche exige une approche multidisciplinaire impliquant des scientifiques, des cliniciens et des forces de l’ordre, ainsi que des investissements significatifs dans la recherche et le développement de nouvelles technologies de dépistage. Seule une action concertée permettra de mieux protéger la sécurité routière contre les risques liés à la consommation de protoxyde d’azote.

V – MOYENS DE LUTTE ET DIFFICULTÉS ASSOCIÉES

Pour lutter contre les dangers du protoxyde d’azote au volant, plusieurs mesures doivent être envisagées :

  1. DÉVELOPPEMENT DE TESTS DE DÉPISTAGE

Investir dans la recherche pour développer des tests de dépistage fiables et rapides de consommation récente de protoxyde d’azote (conduite sous influence), adaptés à une utilisation sur le terrain par les forces de l’ordre. Deux difficultés : – Le temps de demi-vie très court du protoxyde d’azote dans l’organisme rendant sa détection dans une matrice biologique très fugace – L’utilisation d’un biomarqueur spécifique qui serait le reflet d’une consommation récente et non d’une consommation chronique

  1. FORMATION ET SENSIBILISATION

Former les professionnels de la santé et les forces de l’ordre aux dangers spécifiques du protoxyde d’azote et aux nouvelles méthodes de dépistage. Sensibiliser également le grand public, en particulier les jeunes, par le biais de campagnes d’information sur les risques liés à la consommation de cette substance avant de conduire.

  1. CAMPAGNES DE SENSIBILISATION PUBLIQUE

Lancer des campagnes de sensibilisation pour informer le public des dangers de la conduite sous l’influence du protoxyde d’azote. Utiliser les médias sociaux, les publicités télévisées et les programmes éducatifs pour atteindre un large public et changer les perceptions erronées sur la sécurité de cette substance.

  1. NÉCESSITÉ D’UNE RÉGLEMENTATION STRICTE

L’évolution des modes de consommation du protoxyde d’azote et l’utilisation de contenants de plus en plus grands nécessitent une réponse réglementaire adaptée. Les autorités doivent renforcer les contrôles sur la vente et l’utilisation de cette substance, en particulier pour les contenants de grande taille. De plus, des campagnes de sensibilisation sont essentielles pour informer le public des dangers associés à l’inhalation de protoxyde d’azote, et des mesures doivent être prises pour réduire l’accessibilité de cette substance aux fins récréatives. Introduire des réglementations spécifiques pour contrôler la vente et l’utilisation du protoxyde d’azote, en particulier en ce qui concerne les jeunes. Ces réglementations pourraient inclure des restrictions sur la vente aux mineurs, des limites sur les quantités achetées et des pénalités sévères pour la conduite sous l’influence de cette substance.

  1. RECHERCHE ET INNOVATION

Encourager la recherche continue pour mieux comprendre les effets à long terme de l’exposition au protoxyde d’azote et pour développer des stratégies innovantes de prévention et de traitement. Cette recherche doit être multidisciplinaire, impliquant des experts en biologie, en neurologie, en addictologie, en médecine d’urgence… Le protoxyde d’azote représente un danger croissant pour la sécurité routière en raison de ses effets psychoactifs et de la difficulté à le dépister. Pour prévenir les accidents liés à cette substance, il est donc crucial de développer des tests de dépistage efficaces, de sensibiliser le public et de renforcer les réglementations. En investissant dans la recherche et l’innovation, nous pouvons mieux comprendre et gérer les risques associés au protoxyde d’azote, contribuant ainsi à une amélioration de la sécurité sur nos routes.

VI – CONCLUSION

La lutte contre la consommation de protoxyde d’azote au volant nécessite une approche intégrée impliquant la recherche, l’éducation et la réglementation. Les multiples défis posés par cette substance, notamment sa rapide élimination et le manque de tests de dépistage spécifiques, rendent impérative la poursuite de la recherche. Il est par conséquent crucial de financer la recherche pour développer des méthodes de dépistage, de diagnostic et de suivi efficaces, permettant une détection rapide et précise du protoxyde d’azote dans les contextes de sécurité routière. L’éducation joue également un rôle fondamental. Sensibiliser le public, en particulier les jeunes, aux dangers de la consommation de protoxyde d’azote est essentiel pour réduire son usage récréatif. Des campagnes de sensibilisation, des programmes éducatifs dans les écoles et des formations pour les professionnels de la santé et les forces de l’ordre sont nécessaires pour diffuser des informations précises et créer une conscience collective sur les risques associés. La réglementation doit être renforcée pour limiter l’accès facile au protoxyde d’azote et pour instaurer des contrôles stricts sur sa vente et son utilisation. Les autorités doivent collaborer avec les scientifiques pour établir des seuils de dépistage et des protocoles de contrôle routier adaptés. Des mesures législatives spécifiques peuvent inclure des restrictions sur la vente de grandes quantités de protoxyde d’azote, des amendes pour usage inapproprié et des sanctions sévères pour la conduite sous l’influence de cette substance. Investir dans ces domaines permettra non seulement d’améliorer la sécurité routière, mais aussi de protéger la santé publique en réduisant les incidents liés à l’abus de protoxyde d’azote. Une approche coordonnée et soutenue par des politiques basées sur des preuves scientifiques peut transformer la manière dont nous abordons ce défi émergent. En mobilisant les ressources nécessaires et en mettant en œuvre des stratégies intégrées, nous pouvons significativement réduire les accidents de la route associés à cette substance et assurer des routes plus sûres pour tous.

VII – PERSPECTIVES ET ACTIONS

1. GROUPES D’EXPERTS EN FRANCE

Pour répondre efficacement à la problématique de l’abus de protoxyde d’azote, la mise en place de groupes de travail pluridisciplinaires est essentielle. Sous l’égide de la Société Française de Biologie Clinique (SFBC), un groupe de travail dédié à la prise en charge biologique des intoxications au protoxyde d’azote a été formé. Ce groupe multidisciplinaire (https://www.sfbc-asso.fr/ groupe-de-travail-prise-en-charge-biologique-des[1]intoxications-au-protoxyde-dazote/), regroupe des experts en biologie médicale, des neurologues et des urgentistes pour établir des stratégies de diagnostic et de traitement (17).

2. COLLABORATION INTERNATIONALE

À l’échelle internationale, la collaboration avec l’European Federation of Clinical Chemistry and Laboratory Medicine (EFLM) est cruciale. Le comité scientifique de l’EFLM a mis en place un groupe de travail sur les biomarqueurs de diagnostic, comme détaillé sur leur site (www.eflm.eu/site/ who-we-are/committee/science-committee/fu/ tfg-biomarkers-of-diagnosis). Ce groupe vise à harmoniser les méthodes de dépistage et de prise en charge des intoxications au protoxyde d’azote.

3. RÉSEAU PROTOSIDE

La création récente du réseau PROTOSIDE (www. protoside.com) (18), Plateformes et Réseaux pour l’Orientation, le Traitement et l’Organisation des Soins des Intoxications au N 2 0, Diagnostic et Education, marque une étape importante dans la lutte contre l’abus de protoxyde d’azote. Ce réseau rassemble des professionnels engagés dans plusieurs missions. Le réseau PROTOSIDE se concentre sur la sensibilisation du public, en particulier les jeunes, aux dangers de l’utilisation récréative du protoxyde d’azote. Il développe des programmes éducatifs pour les professionnels de santé et participe aux campagnes de prévention organisées par diverses instances. PROTOSIDE crée et anime un réseau national de professionnels de santé – médecins, infirmiers, psychologues, etc. – formés spécifiquement pour répondre efficacement aux cas d’intoxications au protoxyde d’azote. Ce réseau facilite l’échange de connaissances et de pratiques optimales entre les différents acteurs de la santé. En collaboration avec des chercheurs, le réseau PROTOSIDE approfondit les connaissances sur les effets du protoxyde d’azote et améliore les protocoles de traitement. Cette mission inclut la conduite d’études cliniques et la publication de résultats pour informer et orienter les pratiques cliniques. PROTOSIDE travaille activement avec les décideurs politiques pour renforcer la législation et les mesures de contrôle autour de la vente et de l’utilisation du protoxyde d’azote. Le réseau s’engage dans le plaidoyer pour des politiques publiques plus strictes et la mise en œuvre de régulations efficaces pour protéger la santé publique. La mise en œuvre de ces perspectives et actions est essentielle pour lutter contre l’abus de protoxyde d’azote. En intégrant la recherche, l’éducation, la collaboration professionnelle et le plaidoyer politique, nous pouvons espérer réduire significativement les risques associés à cette substance et améliorer la sécurité routière. La mobilisation de la communauté scientifique et des autorités de santé publique est cruciale pour atteindre ces objectifs et garantir des routes plus sûres.

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