Extrait de la Voix du Nord du 12 septembre 2023
« Arômes fraise, noix de coco, myrtille ? Vous avez l’embarras du choix non seulement pour le goût mais également pour le conditionnement. On peut acheter des palettes entières si on en a envie. » En deux clics, le Dr Guillaume Grzych, maître de conférences à l’Université de Lille, fait le tour d’une épicerie virtuelle où « tanks » et autres bonbonnes ont remplacé les capsules individuelles de protoxyde d’azote. « Vous pouvez obtenir l’équivalent de 400 à 600 fois une dose individuelle. D’ailleurs, on retrouve de moins en moins de capsules dans la nature. Ce qui pourrait faire croire à tort que le phénomène a disparu… ».
Une hallucination – La consommation de « proto » explose en France sans réelle prise de conscience de la part des pouvoirs publics. « Ce site vous indique même comment vous faire de l’argent en vendant ce produit qui n’est pas classé comme stupéfiant » mais dont la consommation n’est pas sans dangers < https://www.lavoixdunord.fr/1280372/article/2023-01- 18/protoxyde-d-azote-le-nombre-de-cas-graves-multiplie-par-trois-en- 2021>.
Des syndromes irréversibles – « Près de 300 personnes, majoritairement jeunes, sont passées en consultation aux urgences du CHU de Lille, à Roubaix ou à Saint-Philibert en 2022 après une intoxication. » Parmi elles, une dizaine d’états thrombotiques, des syndromes comparables et parfois irréversibles à ceux d’une sclérose en plaques, de graves atteintes neurologiques, des brûlures dont certaines étonnantes… « Par le froid et au niveau des cuisses, là où on place la bonbonne. Le consommateur, qui est dans un état second, ne se rend pas compte de ce qui lui arrive. »
Que la partie visible du ballon – « On sous-estime également fortement le nombre d’accidents de la circulation qui sont dus à ce phénomène ». Une affaire récente jugée par le tribunal de Lille illustre le propos. Un automobiliste de 23 ans avait mobilisé cinq équipages de police dans une course-poursuite. Il conduisait malgré une suspension de permis, défoncé au protoxyde d’azote. Quatre bonbonnes ! « Il a tout inhalé pendant la course-poursuite. Il en avait de la mousse au coin des lèvres », précisera son avocate.
Future collaboration avec la Sécurité routière – « Nous comptons mettre en place en 2024 une collaboration avec la Sécurité routière et travailler sur le développement d’outils de dépistage », poursuit Guillaume Grzych. « Aux Pays-Bas, le nombre d’accidents de la route imputés au protoxyde d’azote est passé de 2 600 en 2019 à 4 800 en 2021. »
La France n’échappe pas à la poussée même si les indices se font indirects – « 45 % des détenus interrogés avouent avoir déjà pris ce produit » et 15 % à 20 % de la population française s’y serait adonnée au moins une fois. « Ce chiffre atteint les 39 % au Royaume-Uni ! » Le « proto », fléau sanitaire et routier, mobilise aujourd’hui de plus en plus de filières médicales. Mais aucune campagne de prévention digne de ce nom ne s’oppose au « marketing énorme véhiculé sur les réseaux sociaux… C’est le produit à la mode ».
Les Lillois à la tête d’un groupe de travail européen – Mettre en place un véritable parcours de soins pour les patients ; former et informer les professionnels de santé sur les symptômes et les modalités de prise en charge ; poursuivre les efforts de recherche… Voilà ce qui est en train d’évoluer au plan médical lorsqu’on évoque la question des intoxications liées au protoxyde d’azote dont, par ailleurs, on ne mesure pas les effets sur le long terme. Avec peu de moyens mais avec le soutien de l’Agence régionale de santé (ARS), la filière protoxyde lilloise basée au centre de biologie et de pathologie du CHU de Lille, a gagné ses galons. « Elle s’est étendue à la région, puis au plan national où nous nous sommes organisés en disciplines et en groupes de travail », poursuit Guillaume Grzych, également biologiste médical.
Obsolète – La publication de nombreux articles scientifiques a assis la réputation de cette équipe au point que le Lillois dirige désormais un groupe de travail européen dont l’une des priorités est d’harmoniser les recommandations. Un véritable défi car les 300 personnes intoxiquées en 2022 et passées par différents services d’urgence ne constituent que la partie visible de l’iceberg… Guillaume Grzych rappelle que, pour le moment, « le seul cadre légal est celui de l’interdiction de vente aux mineurs ». Que l’arrêté prévu en 2024 semble au minimum flou et tardif. « Il vise les modes de consommation d’il y a deux ans. Or, nous sommes passés des capsules aux tanks. » Face au protoxyde d’azote, il convient de sortir l’artillerie lourde.
Une journée d’information sera organisée le 30 novembre 2023 à l’Institut Gernez-Rieux.